mardi 5 mai 2015

Pause-lecture: visite dark-fantasyesque dans les égoûts du monde.

Les annales de la Compagnie Noire, tome 2: Le Château Noir, de Glen Cook

D'étranges disparitions se succèdent dans la ville de Génépi : cadavres et vivants se volatilisent, proies d'un mystérieux commerce nocturne. Y aurait-il un rapport avec le château noir, cette sombre éminence qui domine la ville, cette verrue monstrueuse qui semble croître de jour en jour ? Possible... La Dame, elle, semble prendre la menace très au sérieux et dépêche la Compagnie sur place pour voir de quoi il retourne. Coincée entre l'horreur qui grandit aux abords du château et sa peur de la Dame, la légendaire Compagnie noire pourrait bien envisager pour la première fois de son histoire de rompre son contrat et de sérieusement redéfinir ses allégeances...
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"Mon Dieu, qu'il serait doux d'imaginer un monde où les problèmes d'éthique se régleraient comme sur un jeu de plateau, avec des pions noirs contre des pions blancs, des règles bien établies, et pas la moindre nuance de gris."


     Infos complémentaires:
     Titre Original: Shadow Linger (1984)
     Série: Les Annales de la Compagnie Noire (The Black Company)
     Origine: Etats-Unis
     Traduction par Alain Robert (1999)
     Edition: J'ai lu - Fantasy (2005)
     410 pages


Y'a pas à dire, la couverture originale
a pris un sacré coup de vieux...
Voilà un bon moment déjà que j'avais bouclé et chroniqué le premier tome des "Annales de la Compagnie Noire", considérée par beaucoup comme une référence en matière de dark fantasy. Ce premier tome m'avait laissé une impression un peu mitigée - quoique globalement plutôt positive. J'y avais regretté nottamment un rythme trop soutenu, une écriture parfois confuse (mais était-ce la faute de l'auteur ou du traducteur?) tout un appréciant le côté épique, de bons personnages, et une intrigue qui effectivement, sans casser trois pattes à un canard, sortait un peu des sentiers battus - une longue et dure campagne, la distinction difficile entre bien et mal, la vie dure des guerriers, la cruauté des deux côté, une sombre histoire de complot. Au final, en fermant ce tome, j'étais donc tout à fait prêt à attaquer la suite, plutôt satisfait de ma lecture, bien qu'il y manquât à mes yeux un petit quelque chose.
Un petit quelque chose que je n'ai eu aucun mal à trouver dans ce second tome. 

Grosse surprise pourtant, au départ: si je m'en doutais déjà un peu via la quatrième de couverture, "Le Château Noir" abandonne complètement (enfin presque!) l'aspect épique de son prédécesseur, pour se concentrer sur un récit à l'ambiance plus sombre et intimiste, qui va fouiller les tréfonds de l'âme humaine. Exit donc l'aventure aux quatre coins du continent, les trois-quarts de l'action se déroulent désormais dans une seule et même ville: Génépi. Et au fond, ce n'est pas plus mal, car Glen Cook a ainsi en trois cents pages tout le loisir de planter son décor, et installer son ambiance comme il le souhaite. Bref, cette fois-ci, il prend son temps, et vous savez que c'est une chose que j'apprécie, tout comme j'apprécie de savoir où je me trouve. Le fait que ce tome soit plus descriptif que le précédent a donc été bienvenu. 
Ces descriptions permettent de planter le décor de la ville de Génépi: un vieux port coupé en deux: d'un côté les beaux-quartiers, en hauteur - où évidemment on ne fout pratiquement jamais les pieds... - et le quartier de la Cothurne, le pire repaire de malfrats qui puisse exister, un quartier sale, sombre, miteux, mal famé, où règnent la peur, la faim; la misère; un quartier sur lequel l'ombre la mort plane en permanence, et où les bandits sont rois. Bref, les bas-fonds du monde. Avec un décor pareil, l'ambiance ne peut qu'être géniale! Et effectivement, c'est cet aspect que j'ai par-dessus tout apprécié dans ce livre, tout le côté glaucque et sombre de cette ville infâme où chacun essaye de survivre à sa façon, qui semble au premier abord d'un seul bloc, mais finit comme les personnages par révéler peu à peu ses multiples facettes. Ajouté au côté oppressant du château et à toute l'atmosphère de mystère qui se dégage de lui et de la ville, et vous obtenez une ambiance bien dark fantasy-esque à souhait, peut-être plus prononcée encore que dans le premier tome.

Allez savoir pourquoi, la ville de Génépi m'a rappelé Bravil,
petite bourgade miteuse de Cyrodiil, terre du jeu Oblivion située au sud de la Cité Impériale.

Il serait injuste toutefois de ma part de parler aussi longtemps, et en bien, de cette ambiance, sans évoquer les personnages, selon moi l'autre point fort de ce tome. A ce titre, j'ai été plutôt surpris de constater que la Compagnie Noire était finalement aussi peu présente durant une bonne partie du récit; par ailleurs, elle se retrouve séparée pendant un bon bout de temps pour le bien de la mission, l'on ne suit donc finalement que quelques-uns de ses membres. Glen Cook a en effet fait le choix cette fois-ci d'abandonner la vie de groupe pour davantage se concentrer sur son intrigue principale - ce qui se traduit également par un changement dans la narration, mais j'y reviendrai. Si l'absence de certains personnages s'est donc cruellement fait ressentir - nottamment le capitaine et le lieutenant - j'ai cependant été ravi de retrouver Toubib, notre chroniqueur préféré, dont la relation avec la Dame connaît une évolution sympathique et intéressante, le bougon Elmo, le trio des sorciers - Silence, Qu'un-Oeil et Gobelin, ces deux derniers s'étant un peu calmés au niveau des âneries. Autre surprise, mais plutôt bonne, Corbeau et Chérie, sa protégée, étaient également de la partie, avec des secrets plein les poches.
Pour rester dans un thème "Elder Scrollien", et aussi étrange que cela puisse paraître,
l'intrigue et son ambiance glaucque m'ont fait par moments penser à la campagne
morbide de la Confrérie Noire et son mystérieux Lucien Lachance dans Oblivion...
Mais le personnage le plus marquant du "Château Noir", c'est très certainement Marron Shed. Voilà d'ailleurs où se situait le changement dans la narration évoqué plus haut: l'auteur a en effet cette fois-ci choisi d'opter pour une narration alternée. Ainsi, on navigue entre des chapitres "chroniques" de Toubib, à la première personne, et des chapitres à la troisième personne, qui nous permettent de suivre la longue descente aux enfers de cet aubergiste de la Cothurne qu'est Marron Shed, un personnage dont l'histoire est à la fois lié à Corbeau et au fameux Château Noir. Un personnage central auquel je me suis assez rapidement attaché, car, même s'il sombre peu à peu dans le gouffre du crime, il conserve toutefois une part d'humanité ainsi qu'une volonté de s'en sortir. Bref, un type normal auquel il arrive des bricoles et qui commet les pires actes, mais sans être pour autant mauvais. Marron Shed est donc un peu à l'image de la série: pas de bien ni de mal, pas de méchants ni de gentils, mais simplement des humains, aux nuances de gris.
C'est peut-être cela qui va amener Marron Shed, en plus de rencontrer la Compagnie Noire dans le cadre de la mission, à se joindre à elle pendant un moment: peut-être parce qu'au fond, ils se ressemblent.Les destins, que l'on suit donc au début séparément, finissent ainsi par se rejoindre pour fusionner. Voilà un autre point que j'apprécie généralement dans les romans - j'aime avoir cette impression d'un grand puzzle imaginé par l'auteur dont les pièces s'assemblent peu à peu au fil de la lecture - et celui-ci ne fait pas exception. C'est d'ailleurs au moment où ces destins se fusionnent qu'arrive le climax du récit, avec force action, qui permet de lancer la dernière partie.

C'est peut-être là toutefois le reproche que je pourrais adresser à ce tome: cette fameuse dernière partie. Je sais qu'au contraire, beaucoup l'ont adoré, y retrouvant ce qu'ils avaient aimé dans "La Compagnie noire", mais j'y ai personnellement retrouvé ce que j'avais pu de mon côté reprocher à ce premier tome. Par moment, elle m'a semblée un peu confuse - je n'ai par exemple pas compris grand-chose au déroulement des évènements de l'auberge... - et si certains des personnages y trouvent un dénouement intéressant, tout s'y précipitait cependant un peu trop à mon goût. Au moins, cette dernière partie a le mérite de surprendre: car après plus de trois cents pages passées à traîner dans les bas-fonds de Génépi, je ne m'attendais certes pas à revivre une telle cavalcade sur le continent!

Ça c'est un fanart rigolo! :D (Gobelin et Qu'Un-Oeil, par De-prime)

Bilan des courses


Glenn Cook a pris le parti de s'éloigner volontairement des "codes" qu'il semblait avoir instauré dans "La Compagnie Noire" - rythme, narration, personnages différents -  et bien lui en a pris puisque, si j'avais apprécié sans plus le premier tome - mais suffisamment tout de même pour me lancer dans sa suite - j'ai tout simplement a-do-ré celui-ci! L'intrigue est certes un peu classique pour le genre, mais au fond, quel mal y a-t-il à cela, puisque c'est si bien fait? L'atmosphère sombre et glaucque, le mystère ambiant, le rythme un peu lent, les personnages et leur développement, la prise de risque même (parce que oui, changer presque complètement les codes de son premier tome, c'est une prise de risque) tout cela a réussi à me captiver du début à la fin, à me prendre aux tripes. J'ai trouvé en revanche la dernière partie un peu en-dessous, y retrouvant certains défauts du premier tome. Le rythme qui est adopté dans cette dernière partie semble d'ailleurs vouloir se rapprocher de celui de "La Compagnie Noire", sans doute pour préparer à la suite. Hé bien, je l'affirme sans hésiter, après un tome pareil, je suis tout à fait partant pour ce troisième tome, "La Rose Blanche", qui me permettra d'achever le cycle des Livres du Nord!

Une excellente note, donc, pour "Le Château Noir", et j'irai même plus loin en lui décernant la médaille "Coup de Coeur"!

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Cette sixième chronique me permet donc (enfin!) de remplir mon contrat pour le Challenge Dark Fantasy.



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2 commentaires:

  1. Un ami m’en avait parlé comme du pur et dur, niveau Dark Fantasy, donc bon, je pense qu’il va falloir que je m’y mette maintenant que j’ai lu ta chronique de ce second tome qui a l’air nettement plus encourageant ! (Et pis, le charme Cyrodiil fait que je risque de visualiser la même chose~)
    D’autant plus que j’adore quand les auteurs servent des personnages "gris" sans demander au lecteur d’aimer forcément le héros et de détester forcément le méchant : il y a trop de manichéisme dans certaines œuvres de Fantasy, donc quand l'auteur nous en fait grâce, faut en profiter \o/

    Après, le « côté classique » vient peut être aussi du fait que cette saga date des années 1980 ? Je ne suis pas une grande spécialiste niveau date, mais il me semble que c’est à partir de là que la Fantasy a vraiment émergé après Tolkien, Eddings et tous les autres précurseurs du genre, non ?
    Mais enfin, j’espère que j’arriverais à digérer !
    (Nan parce que, je tente de lire le premier tome de La Belgariade depuis Mai, je suis coincée à un passage « le héros doit fuir », code classique, où on mange de la balade champêtre pendant plusieurs pages, c'est dur...)

    En tout cas, cette saga est notée.

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    1. Je pense que cette série pourrait te plaire, en effet - surtout ce deuxième tome, je pense, bien plus que le premier, mais bon, on ne sait jamais! ^^ (en plus, pour le côté Cyrodiil, Marron Shed me rappelle vraiment un Argonien qu'on rencontre à un moment pour une suite de quêtes - pour la guilde des voleurs, je crois, mais je ne suis pas sûr, il faudrait que j'y rejoue)

      Ces personnages "gris", c'est à mes yeux une des forces des "Annales de la Compagnie Noire". C'est une chose que j'ai vraiment appréciée en tout cas à propos de Marron Shed: on est tout à fait libre de le détester, de le trouver méprisable ou sympathique, l'auteur montre plusieurs facettes très différentes du personnage, et nous laisse le soin de nous en faire notre propre jugement, sans l'orienter. Contrairement à d'autres oeuvres, allez, au hasard, Les Mystères de "St-Pétersbourg", dans lequel tu sens vraiment que l'auteur veut que tu aimes et admire son héros, et qui produit du coup l'effet inverse.

      Pour le côté "classique", à vrai dire, c'est d'avantage un reproche que j'ai lu sur d'autres chroniques qui traitaient du livre, mais personnellement ça ne m'avait pas du tout choqué. D'autant plus que, comme tu le dis, c'est certainement dû au temps qui a passé, et a vu d'autres oeuvres de Dark Fantasy émerger en nombre à partir de cette époque. Mais c'est vrai que les villes boueuses et les bas-fonds des capitales sont désormais un décor assez récurrent dans ce genre.
      (La Belgariade, un ami m'en a fait des éloges voilà quelques années, mais je n'ai toujours pas lu par contre!)

      En tout cas, j'espère que la série te plaira si tu t'y mets! ^^

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