dimanche 8 juin 2014

Lecture: Le Pousse-pousse - Lao She

"Siang-tse, le grand Siang-tse, le courageux, le fort, celui qui avait tant rêvé, tant cherché la réussite, combien de morts avait-il accompagnés jusqu'à leur tombe? Lui, le malheureux, le déchu, l'"individualiste" qui croyait pouvoir réussir tout seul, quand donc serait-il enterré avec cette société cruelle et pourrie qui l'avait enfanté?"
(extrait du chapitre 24)


Portrait de l'auteur, Lao She.
Le pousse-pousse, ou Le tireur de pousse suivant les traductions, c'est tout simplement un roman phare de la Chine du XXe siècle. Lao She, de son vrai nom Shu Qingchun, reste d'ailleurs aujourd'hui un des écrivains chinois les plus célèbres dans le monde, ardent défenseur du peuple et un temps auteur officiel de la République Populaire de Mao, sans non plus être marxiste convaincu, en bon intellectuel qui se respecte. 
Malgré mon attrait pour la littérature asiatique, en particulier nippone, coréenne et chinoise, je ne m'étais pourtant jamais intéressé de près à cet auteur, à défaut d'en avoir véritablement entendu parlé. A vrai dire, et comme souvent, d'ailleurs, je suis tombé sur ce roman en farfouillant dans la bibliothèque de membres de la famille à la recherche d'un livre à lire, mais rien de particulier. Ç'avait trait à l'Histoire de la Chine d'un certain point de vue, et c'était pas trop long, il n'en n'a pas fallu plus pour me pousser à le lire. Et au final, je ne l'ai pas regretté. Tout ça pour dire qu'en se jetant dans l'inconnu, on peut certes souvent avoir de mauvaises surprises, mais aussi de très bonnes. Du coup, je vous encourage à faire pareil: fouillez, intéressez-vous à ce que vous ne connaissez pas, goûtez-y avant de dire que c'est mauvais, et vous ferez sans doute de très belles découvertes, des rencontres qui peuvent être inoubliables.
Je disgresse, je disgresse, mais c'est dans mes habitudes, vous commencez à me connaître. Revenons-en au sujet de base, à savoir Le pousse-pousse.

Un tireur de pousse pékinois
Le pousse-pousse, donc, c'est l'hisoire de Siang-tse, un jeune homme de la campagne venu à Pékin dans l'espoir d'y trouver du travail. Il parvient à se faire embaucher comme tireur de pousse, et se fait rapidement une réputation dans le milieu, grâce à sa force, sa rapidité, et son caractère plutôt facile, comparé à la rudesse de ses collègues. Bien vite, son ambition sera de posséder son propre pousse, et il semble pouvoir y parvenir, jusqu'à ce que les déconvenues de la vie commencent à le frapper.
De désillusion en mésaventure, on suit donc ce personnage à la fois sympathique, entêté, et quelque peu philosophe qu'est Siang-tse. A travers son destin, c'est en fait celui du petit peuple de Pékin et de cette Chine en proie aux conflits intérieurs, alors que s'engage la guerre contre le Japon, qui nous est raconté. Emaillé de quelques descriptions, le roman nous fait découvrir le dur monde des tireurs de pousses, les ruelles sombres de Pékin, les belles maisons des quartiers riches, la rudesse de la vie dans les quartiers plus populaires, au gré des saisons et des ans. C'est un peu comme du Zola, en fait, mais en moins chiant long et moins lourd: tout cela reste assez léger, et interrompt assez peu le récit.

Pékin, Av. Qianmen, dans les 30's
Peu à peu, la chute progressive de Siang-tse se fait de plus en plus nette. La malchance semble le suivre à chacun de ses pas: sitôt qu'il semble être parvenu à une situation à peu près stable, un évènement malheureux arrive qui le dépossède de tous ses biens, l'oblige à partir, à recommencer à zéro, et ce jusqu'à la fin, extrêmement pessimiste. A travers les mésaventures de Siang-tse, c'est en fait une critique sociale que dresse Siang-tse: il nous dépeint une "société cruelle", absurde, qui laisse dans la misère les travailleurs les plus acharnés, oblige ceux qui la composent à survivre plus qu'à vivre. Un portrait de la face obscure de la société, quoi. Encore une fois, comme du Zola - mais pas trop en fait.

Car tout cela est narré avec tant de légèreté et d'ironie, que si l'on plaint bien sûr Siang-tse, son malheur n'apparaît pourtant jamais si tragique. Certaines situations en sont même rendues amusantes, comme un épisode où, arrêté par des militaires, il parvient à s'enfuir avec un troupeau de chameaux, sans avoir aucune idée de la façon de s'en occuper. Tout l'humour de Lao She parvient ainsi à rendre légère une histoire en apparence très tragique.

Le mot de la fin:


Le pousse-pousse m'a laissé un très bon souvenir. Pas trop long, il raconte avec beaucoup d'humour et de légèreté les mésaventures de ce pauvre mais sympathique Siang-tse, mais également de ses contemporains, sans jamais faire preuve d'un quelconque jugement moral envers leurs actes. Avec ce style unique, Lao She nous dépeint brillamment le petit Pékin du début du XXe, alors que s'amorce peu à peu un tournant décisif dans l'Histoire de la Chine. Nul doute que je me tournerai prochainement vers les autres écrits de cet auteur, ce premier livre s'étant décidemment révélé une belle découverte.

Le chant des premières pousses (XIIIe), Ma Yuan,
peintre de l'Académie Impériale de Pékin 

Si vous souhaitez plus d'informations sur l'auteur, Lao She, au lieu de bêtement chercher sur Ouikipédia, je vous encourage à aller consulter cette page.
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Vous avez sans doute remarqué que cette fois, il n'y a pas trouze-mille astérisques. Pas d'inquiétudes, je vous laisse en bonus avec un buste de Lao She. Ne me remerciez pas, c'est gratuit!

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